Retour à Paris.

Je profite du temps dont je dispose pour m’allouer une cure spirituelle, littéraire. J’ai récemment acheté des pièces de Ionesco “Les chaises”, “Rhinocéros”, “La Leçon” durant le séjour à l’île de Ré m’ayant tout simplement emballé au plus haut point du paroxysme. Je battais des mains d’enthousiasme, de régal et de rire. Ces pièces sont fabuleusement musicales. Surtout la fin de “La Cantatrice chauve”.
Je compte également me plonger dans les surréalistes mais avant tout Kafka. Il y a chez cet auteur une perception du monde exacerbée à un point extrême dont je me sens parfois très proche.
J’ai l’impression que cette douzaine de jours passés outre-Rhin ont fait sortir mon esprit d’une certaine torpeur, d’une certaine “paresse du concept”. L’influence de la culture allemande s’exerce uniquement en immersion. C’est au centre de l’inconscient collectif culturel commun que mon esprit semble s’être dirigé vers une maturité décisive. J’ignore encore comment elle va s’exercer dans la pratique quotidienne. Je pense qu’il s’agit plutôt d’une rénovation, une remise à neuf des bases de la réflexion, pas uniquement un enrichissement sans trace, plutôt une genèse supplémentaire qui s’imbrique dans une autre, constitutive de l’identité personnelle.
Ces jours derniers, un terrible orage s’est déclaré vers environ minuit. J’en perçus d’abord les éclairs aux contours imprécis qui dessinaient avec mollesse des formes aux volumes indiscernables. Je ne pus rester dans ma chambre beaucoup trop exiguë. Il me semblait que les murs allaient expirer, dans un râle forcé et fiévreux, le dégoût glaireux de mes méditations insensées. Je dus trouver refuge dans la chambre de mes parents où l’immensité du lit m’apporta un apaisement maternel. Je fus réveillé de bonne heure par les rayons traçants du jour impérieux.
Je dois m’accorder le temps des vacances pour pratiquer une puissante ouverture sur mon esprit renaissant. Il est temps de s’abreuver la tête de littérature du 20ème et surtout de poésie, d’abord les maudits, le 19ème puis le 20ème, les surréalistes et toute l’artillerie. La peinture par la suite. Je suis loin d’être prêt. Un réveil trop brusque de mon lent engourdissement risquerait de laminer de distorsionner mes angles de perception, et je retomberais rompu par les instruments d’un jeu difficile trop rapide, dangereux et sans équilibre.

Extrait du “Carnet d’écrits, réflexions de solitudes, été 1988”.